Nous avons eu la chance de passer un moment privilégié avec Beatriçe Gjergji et Kolë Laca, le duo de Shkodra Elektronike qui représente l’Albanie à l’Eurovision 2025 après leur victoire au Festival i Këngës (« FIK »). Ensemble, ils nous ont parlé de leur parcours musical, leur projet commun et des coulisses de leur préparation à l’Eurovision. Entre anecdotes personnelles, échanges sur leur processus créatif et leurs ambitions pour l’Eurovision, cet entretien nous a permis de mieux comprendre leur passion et leur authenticité.
Tout d’abord, félicitations pour votre victoire au Festival i Këngës et pour l’opportunité de représenter l’Albanie à l’Eurovision 2025 ! Comment vous sentez-vous d’avoir atteint cette étape incroyable ?
Beatriçe : C’est un sentiment incroyable, presque irréel, mais tellement beau. On essaie encore de comprendre exactement ce qui se passe et ce qui est à venir. Il y a encore beaucoup à faire, c’est un travail en constante évolution.
Kolë : Oui, il n’y a pas eu de temps pour vraiment assimiler tout ça, il y a tellement à faire. On a dû réajuster nos emplois du temps. Avec notre manager, on prépare énormément de choses, c’est un travail nonstop. Organiser tout ça avec le peu de temps qu’on a, ce n’est pas facile, mais on reste concentrés sur ce qu’il faut faire.
Revenons sur ce moment où vous avez pris conscience que vous avez gagné le FIK. Il y a eu un instant de doute (NDLR lors de l’annonce du gagnant), comme si vous n’arriviez pas à réaliser. Comment vous êtes-vous sentis à ce moment précis ?
Beatriçe : Franchement, sur scène, personne n’a compris ce qui se passait, jusqu’à la toute fin. Quand on a réalisé qu’on avait gagné, on était là, « Quoi ?! Comment ça ? » On se regardait tous avec une surprise totale. C’était un moment où personne ne s’attendait à ce résultat, ni nous, ni même le public.
Kolë : C’était vraiment un moment de vérité, d’authenticité. Tout le monde était un peu dans le flou, et ce n’est qu’après que l’on a réellement commencé à comprendre l’ampleur de ce qui venait de se passer. C’était un instant où même nous, on avait besoin de temps pour digérer cette victoire.
Vous avez formé votre duo en 2019. Qu’est-ce qui vous a réunis en tant que partenaires musicaux ? Et comment avez-vous collaboré depuis ce moment-là ?
Beatriçe : En fait, je suis tombée sur une vidéo de Kolë sur YouTube, où il interprétait une chanson traditionnelle de Shkodër (NDLR, ou Shkodra ) . Avant 2019, il faisait partie d’un projet appelé Two Pigeons. J’ai juste envoyé un message sur Facebook pour le remercier pour son travail.
Kolë : Quand j’ai vu son message, je suis allé sur sa page et j’ai découvert qu’elle chantait et se produisait avec son groupe. J’ai tout de suite accroché à son style, à sa manière de chanter et à sa présence sur scène. Et puis, j’ai découvert qu’on venait tous les deux de Shkodra, ma ville en Albanie. J’avais déjà envisagé de créer un projet autour des chansons traditionnelles de Shkodra, mais avec un chanteur italien, c’était difficile de le concrétiser.
Et en 2019, on a commencé à jouer ensemble et à faire nos premiers concerts. Puis, en février 2020, on a fait une petite tournée en Albanie et au Kosovo, et on a vu qu’on avait un vrai public. C’était vraiment le début de notre aventure. Puis la pandémie est arrivée.
C’est une belle histoire, et c’est vraiment fascinant que vous soyez tous les deux originaires de la même ville ! Cela semble presque être du destin !
Beatriçe : Oui, on ne se connaissait pas avant. Et plus tard, j’ai appris que ma mère était la meilleure amie de la mère de Kolë !
Votre musique mêle des influences albanaises et modernes. Est-ce un choix délibéré ou est-ce que cela s’est fait naturellement ? Et quelles sont vos principales influences musicales ?
Kolë : Pour mes influences, j’écoute beaucoup de groupes comme Massive Attack, Björk, et je suis aussi un grand fan de jazz. Cette idée de mélanger modernité et musique traditionnelle m’est venue naturellement. Je ne voulais pas changer ces chansons, mais plutôt découvrir cette modernité qui y était déjà présente. De plus, comme je joue du clavier, c’est naturel pour moi d’arranger les morceaux avec des sons électroniques. Mon rôle principal est de structurer et d’arranger les chansons, et je laisse la chanson elle-même guider ce processus.
Beatriçe : Pour « Zjerm », on a écrit la chanson spécifiquement pour le Festival i Këngës. D’habitude, c’est moi qui écris les paroles, et pour cette chanson, j’ai écrit ma partie, mais celle chantée par Kolë a été écrite par un artiste de Shkodra, Lekë Gjeloshi. Quand j’ai commencé à écrire ma partie, je pensais au festival, à ce que j’aimerais voir à la télévision – quels types de concepts, de mots et de chants résonneraient pour moi. C’était un besoin personnel d’entendre une chanson qui parle de bienveillance, de gens qui font de bonnes choses, plutôt que de se faire du mal les uns les autres. Et « Zjerm » est née de cette réflexion. Kolë a pris mon idée et a commencé à la développer, comme un puzzle.
Comment répartissez-vous le travail quand vous écrivez vos chansons ? Qui fait quoi ?
Kolë : Ça dépend de la chanson. Au départ, on n’utilisait que des chansons traditionnelles. À ce jour, toutes nos chansons, sauf « Zjerm » et une autre (« Ku E Gjtea Vedin »), sont des chansons traditionnelles. Pour chacune, je m’occupe de la structure et de l’arrangement, en utilisant des instruments électroniques et des batteries tout en gardant l’aspect traditionnel.
Pour « Zjerm », c’était différent. Beatriçe a composé toute la mélodie. Le seul changement que j’ai proposé, c’était l’intro. Je lui ai dit : « Peut-être que c’est trop, on n’en a pas besoin. » Et c’est tout. Toutes les parties mélodiques viennent de Beatriçe , et moi je me suis chargé de l’arrangement et de la production.
Beatriçe : En gros, on est assez libres. Je m’occupe de la partie vocale, mais on peut aussi échanger les rôles. Peut-être qu’une fois, ce sera moi qui arrangerai quelque chose !
Qu’est-ce que cette chanson représente pour vous personnellement ?
Beatriçe : C’est une chanson magnifique. Elle me fait me sentir mieux, pas parce que nous l’avons écrite, mais simplement parce que c’est une chanson qui, aujourd’hui, me fait du bien. Je l’ai beaucoup aimée à un moment où j’avais besoin d’écouter quelque chose de plus léger. Mais si tu l’écoutes beaucoup, tu peux en découvrir des aspects plus profonds et intenses. Ce n’est pas seulement dans les mots, bien sûr, mais aussi dans le son du violon, ou celui des instruments électroniques.
Kolë : Ça me rappelle quand j’ai voulu intégrer la çiftelia, cet instrument traditionnel, au début de la chanson. Je réfléchissais à qui appeler pour l’enregistrer, puis je me suis souvenu qu’un homme vendait des instruments traditionnels dans notre ville, Shkodër. Je suis allé le voir, mais tous les instruments étaient accrochés à un arbre. On m’a dit qu’il était probablement dans un bar en train de boire du raki et que si je jouais un peu, il finirait par venir. J’ai joué un moment, mais personne n’est venu. Finalement, un jeune homme est arrivé et m’a dit qu’il allait chercher son oncle, le vendeur.
Quand il est arrivé, c’était un géant avec des mains énormes, un peu comme un personnage de dessin animé. Il a pris l’instrument, a commencé à jouer, puis m’a dit que c’était cher. Je lui ai expliqué que j’avais déjà acheté un instrument chez lui l’année précédente, et il m’a fait un prix de 70. De retour chez moi, j’ai enregistré l’instrument en une matinée, rapide et un peu débridée.
Quelle a été la réaction de vos fans à « Zjerm » ?
Beatriçe & Kolë : La réaction a été incroyablement positive. Avant le festival, on avait déjà un petit groupe de fans fidèles qui nous suivaient depuis 2019, et ils nous ont écrit pour nous dire qu’ils savaient qu’un jour, Shkodra Elektronike serait reconnu. C’est vraiment touchant.
Comment est-ce que vous vous préparez à l’Eurovision ?
Kolë : Il y a vraiment énormément de choses à faire pour se préparer à l’Eurovision, mais aussi pour les autres chansons que nous devons sortir après. Notre plan initial était de participer au FIK, puis de sortir notre album en janvier ou février, mais avec notre victoire, tout a changé. Nous avons dû tout réorganiser. Par exemple, maintenant nous devons préparer des photos, organiser les visuels de notre performance. Il y a vraiment beaucoup de détails à gérer.
Beatriçe : La mise en scène sera forcément différente, car la scène elle-même est différente. Mais l’histoire que nous voulons raconter restera la même, puisque la chanson ne change pas. Pour être honnête, nous ne savons pas encore exactement à quoi cela ressemblera. Si nous n’avons pas de réponse précise, c’est simplement parce que ce n’est pas encore décidé.
Kolë : Oui, c’est ça. Beatriçe dansera d’une certaine manière… et moi, je ne danserai pas ! Mais nous ne pensons pas changer nos rôles.
Vous vivez tous les deux en Italie. Avez-vous eu le temps de suivre le Festival de Sanremo ces dernières semaines ?
Kolë : J’ai regardé les premières soirées… mais pour être honnête, ce n’était pas vraiment prévu. Mon colocataire voulait absolument regarder, alors que moi, en même temps, je suivais un match de foot sur mon téléphone. On a un peu débattu, parce que moi, je voulais le match à la télé !
Beatriçe : Mais j’ai quand même vu quelques extraits à la télé ou sur mon téléphone. Bien sûr, je devais quand même jeter un œil à Sanremo ! Je regarde Sanremo chaque année. J’ai regardé la finale de l’Eurovision l’année dernière, et j’ai trouvé ça sympa. Mais le plus important, c’est que mon groupe vocal préféré, c’est ABBA. Donc, rien que pour ça, il faut dire un grand merci à l’Eurovision !
Enfin, quand vous pensez à votre performance à l’Eurovision 2025, quel message ou quelle émotion souhaitez-vous transmettre au public, en Albanie et en Europe ?
Kolë : J’aimerais simplement dire que les choses se font naturellement, sans trop forcer. Si on exprime ses émotions avec simplicité et honnêteté, d’une manière authentique, alors ça fonctionne.
Beatriçe : Oui, et surtout, croire en soi, parce que des choses incroyables peuvent arriver, comme cela nous est arrivé. Continuer à faire ce que l’on aime, sans chercher à rentrer dans un moule – que ce soit en musique, en paroles, en apparence… Il faut juste être soi-même. Je pense que les gens nous ont choisis pour ça. On a encore du mal à y croire, mais c’est arrivé.
Kolë : Oui, et je pense que si les gens nous ont choisis, c’est parce qu’ils se reconnaissent en nous. Après le festival, on nous a souvent dit : « Vous êtes comme nous. » Et je crois que c’est ça, au fond. Juste des personnes normales qui font ce qu’elles aiment, sans trop réfléchir ni trop en faire. Si quelque chose se passe, tant mieux. Sinon, ce n’est pas grave non plus.
On arrive à la fin de cette interview. Avez-vous un message pour vos fans et pour le public ?
Beatriçe & Kolë : À tous ceux qui nous soutiennent, un immense merci ! Chaque jour, nous recevons vos messages et votre amour, et ça nous touche profondément. On espère vous rendre fiers sur scène. Merci du fond du cœur !
Nous ferons passer le message, c’est certain ! Un immense merci à vous, pour votre sourire, pour avoir partagé vos histoires. C’était vraiment intéressant et inspirant. Merci encore pour votre temps, c’était un vrai plaisir ! On a hâte de vous voir à Bâle et on serons derrière vous pour vous soutenir. Bonne chance !
Shkodra Elektronike sera en tournée aux dates suivantes un peu partout en Europe.
- 3 mars- ITB [Berlin]
- 7 mars – Stockholm
- 14 mars – Eurovision Party [Thessaloniki]
- 20 mars – Babel Music XP [Marseille]
- 22 mars – Nordic Eurovision Party [Oslo]
- 5 avril – Eurovision in Concert [Amsterdam]
- 12 avril – Manch Hagen [Manchester]
- 13 avril – Eurovision Party [London]
- 19 avril – Pre Party ES [Madrid]
Fiche Artiste – Shkodra Elektronike
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